mercredi 12 janvier 2011

Un Américain à Paris (2)

Dans son livre, "Le Festival de Cannes" (Robert Laffont), Frédéric Mitterrand raconte comment, se faisant passer pour un acheteur intéressé, il a visité vers 1991 l'appartement de Sean Flynn de la rue Nicolas-Chuquet (qui était resté en l'état depuis vingt ans, lire ici).

« J’ai ressenti de l’anxiété, une espèce de vertige, tout était à sa place comme s’il venait de sortir et très en ordre aussi ; cela ne m’étonnait pas car je l’avais toujours imaginé comme un type très net, et le reste à l’avenant autour de lui. En revanche, les vitres étaient sales, ce qui expliquait le manque de clarté qui m’avait surpris en entrant, ça sentait un peu le renfermé et une mince couche de poussière recouvrait uniformément chaque meuble et chaque objet. On aurait dit une sorte de neige légère qui donnait à l’ensemble une impression de gris et de fané.

La décoration, sobre et agréable, avait cet émouvant aspect « figé soixante » que l’on retrouve en tournant les pages des magazines un peu démodés ; une lampe design à l’abat-jour en forme de fleur, de l’acier et du verre fumé, deux fauteuils en plastique gonflable, des lithographies d’Agam et de Vasarely mais aussi d’anciennes images de la Coupe de l’America dans des cadres d’acajou, un méli-mélo de brocante, un beau bureau à cylindre avec le haut qui se referme en coulissant comme on en voit dans les films de John Ford ou de Capra ; j’ai pensé que c’était peut-être un cadeau de sa mère. Il y avait aussi une superbe photo de ses parents sur leur yacht, du temps où ils faisaient des croisières d’amoureux en voilier vers les îles de Californie, puis d’autres encore que j’avais vues dans Cinémonde mais aucun reflet des années parisiennes ; les jeunes filles du seizième et les belles inconnues plus expertes n’avaient pas dû compter beaucoup.

Je ne touchais à rien pour ne pas laisser de marques dans la poussière, je me contentais de regarder. Dans la chambre, le lit à deux places était fait au carré avec ses draps bleus vaguement décolorés comme le reste ; il était de taille normale et je me suis dit bêtement qu’il devait se coucher de travers pour tenir dedans. J’ai eu très envie de m’y étendre ne serait-ce qu’un instant mais là encore je suis parvenu à résister. Au-dessus du lit, il y avait agrafée au mur une affiche de son premier film (…). Autrement, il n’y avait aucun indice de sa carrière au cinéma ; j’ai remarqué quelques livres et des disques, Graham Greene et Cole Porter, Fitzgerald et Ravi Shankar, un recueil de pensées chinoises, April Stevens à Puerto Rico, un album de photos sur les petits Blancs du Middle West pendant la grande crise, le bagage très raisonnable d’un type ouvert et tranquille en décalage avec sa génération déjà lancée sur le toboggan du pétard et de la pop. C’était en pile sur une table de chevet et par terre ; un instant j’ai cru le voir sur son lit plongé dans cette littérature vintage jusque tard dans la nuit, écoutant cette musique qui n’était pas de son temps, pas trop fort pour ne pas gêner les voisins ; un brusque accès de mélancolie m’a serré le cœur. »

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