dimanche 9 janvier 2011

"Putain de mort" de Michael Herr

Albin Michel a réédité l'année dernière le livre de Michael Herr, Putain de mort, consacré à ses années de reporter au Vietnam. Il y évoque largement son ami Sean Flynn. Extraits :

« Sean Flynn pouvait être encore plus incroyablement beau que son père, Errol, en Captain Blood trente ans plus tôt : mais parfois il ressemblait plus à Artaud sortant d’une sorte de voyage au cœur de la nuit, lourd, surchargé d’informations, branché ! Branché ! Il avait une mauvaise sueur et restait assis des heures en peignant sa moustache avec son couteau de l’armée suisse. (…)

La première fois qu’il était venu au Vietnam, en été 1965, c’en avait été assez pour faire un événement et il y avait eu beaucoup d’articles sur ses premières sorties au combat. La plupart arrivaient à ressortir tous les clichés et dans tous il y avait le mot « fanfaron ». Il était encore facile de raconter des histoires sur lui, et il y avait toujours beaucoup de gens qui ne demandaient que ça, mais quand on le connaissait, tous ces bavardages devenaient déprimants.

Il y avait bon nombre de journalistes sérieux (lourdingues) qui ne pouvaient pas se permettre d’admettre qu’un type d’aussi grande allure avait aussi autre chose en lui. Ils préféraient ne pas le prendre au sérieux, au contraire de ce qu’ils faisaient pour eux-mêmes (Sean trouvait cela très bien), et ils l’accusaient de venir au Vietnam pour jouer, comme si cette guerre était pour lui comme l’Afrique ou le midi de la France ou un de ces endroits où il était allé faire les films d’après quoi tout le monde le jugeait. Mais il y avait beaucoup de gens qui étaient au Vietnam pour jouer, bien plus que les lourdingues n’osaient l’avouer, et Flynn ne jouait qu’au niveau le plus vrai. Ce n’était pas qu’il était si différent des autres : il était profondément fasciné par la guerre, cette guerre, mais il l’admettait, il savait où il mettait les pieds et il se conduisait comme s’il n’y avait aucune honte à avoir. Cela lui donnait une vision du Vietnam à la fois pénétrante, sombre et définitive, et il en connaissait la violence mieux que la plupart de ses détracteurs n’auraient pu le comprendre. Tout cela était inscrit à l’évidence sur son visage, surtout la violence, alors que ces gens ne voyaient que sa beauté – vous faisant comprendre que les journalistes, en tant que groupe, ne sont pas nécessairement plus observateurs ou imaginatifs que les comptables. (…)

À un moment, pendant ces années passées au Vietnam, il a compris qu’il existait vraiment des gens qui comptaient pour lui et sur qui il pouvait compter. Cela dut être comme un don inattendu qui en a fait quelqu’un que son père, au plus beau jour de sa vie, aurait pu envier. »

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